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Affaires internationales

Les Exportants – Épisode 49 – Être en affaires en Suède

les exportants épisode 49 - etre en affaires en suede

Date de diffusion :

4 juin 2024

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Catherine Gervais, directrice générale de Carrefour Québec Internationalrencontre Theresa Ryberg, directrice des affaires internationales à la Chambre de commerce de Stockholm. La Chambre de commerce de Stockholm est une organisation qui soutient et promeut le commerce, l’industrie et l’entrepreneuriat dans la région de Stockholm, en Suède. Elle offre des services, des réseaux et des conseils aux entreprises locales et internationales. Dans cet épisode, Theresa et Catherine aborde les préoccupations des entreprises suédoises, l’économie du pays, ainsi que l’art de vivre suédois.

Merci de partager avec vos amis entrepreneurs, vendeurs et professionnels généralement intéressés par les affaires à l’étranger. Carrefour Québec international (CQI) et ses experts accompagnent les entreprises du Centre-du-Québec, de l’Estrie et de la Mauricie dans leurs projets d’expansion hors Québec et à l’international.

Cet épisode de balado a été réalisé suite à un appel à projets du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec (MRIF) pour une mission en Scandinavie.

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Theresa, parle-moi un peu de toi et de la chambre de commerce de Stockholm.

Je suis suédoise, je suis née en Suède. Je suis déménagée en France quand j’avais 7-8 ans et j’y ai fait toute ma scolarité. J’ai fait mes études en droit à Touraine, puis à Anjou et j’ai également demeuré dans les Alpes. Comme je me suis spécialisée en affaires internationales et européennes, j’ai ensuite fait un passage obligatoire par Bruxelles et me voici, plusieurs années plus tard, à Stockholm. Je suis revenue il y a 9 ans où j’occupe maintenant le poste de directrice des affaires internationales à la Chambre de commerce de Stockholm.

Les Chambres de commerce en Suède sont un système un petit peu différent des Chambres de commerce du reste de l’Europe, qui sont des entités semi-publiques. En Suède, ce sont des entités complètement privées, gérées par des communautés d’entrepreneurs et de grands leaders de l’économie suédoise. Les Chambres de commerce ont comme objectifs de rapprocher la communauté économique et la sphère politique, c’est vraiment leur mission première, dans un but de créer les meilleures conditions possibles pour le développement économique du pays. La Chambre de commerce de Stockholm sert de lieu de rencontre pour les entreprises. Notre moto est d’être la meilleure « meeting place » du pays. Nous organisons une grande quantité de séminaires, de petits-déjeuners, d’afterworks, dans l’objectif d’être ce lieu de rencontre, de discussions et d’échanges entre les entreprises et la sphère politique.

Comment décrirais-tu la conciliation travail-famille en Suède ?

Je crois que la première chose qui marque vraiment la différence quand on vient en Suède c’est l’équilibre vie privée et vie professionnelle. Il y a un équilibre qui est presque sacré et cet équilibre doit à tout prix être respecté, c’est-à-dire que le travail est basé sur beaucoup de confiance envers nos collaborateurs. Les organisations ont une hiérarchie très plate, ce qui laisse beaucoup de liberté, mais aussi beaucoup de responsabilités à nos collaborateurs. La culture professionnelle est vraiment basée sur ces valeurs-là. La société civile suédoise est une petite société, on est 100 millions dans tout le pays donc ce sont des communautés qui fonctionnent de façon très serrée. Les plus grandes différences culturelles que nous avons entre la Suède et le reste de l’Europe sont basées sur l’approche qu’on a envers les cultures anciennement paysannes et la relation avec le froid. Les périodes de l’année sont extrêmement importantes.

Peux-tu nous donner un exemple concret de la manière dont la conciliation travail-famille est ancrée dans la culture suédoise ?

Avant même la pandémie, le télétravail était commun en Suède. Nous ne sommes pas dans une logique où un employé doit être au bureau de 9 h à 17 h. Pour nous, ce qui importe, c’est que l’employé remplisse sa mission, donc qu’il le fasse au bureau ou à la maison ce n’est pas le critère le plus important. Après, tout dépend de l’importance qu’on met sur les valeurs sociales et évidemment de l’entreprise. Le Team Building est évidemment très important aussi, il ne faut pas l’oublier, mais il n’y a pas cette pression d’être au bureau. Nous avions déjà cette approche avant la covid, c’est pour ça peut-être que nous avons eu moins de mal à passer en mode télétravail pendant le covid.

Ensuite, sur la question de l’équilibre travail – vie personnelle, on n’a pas du tout le même système de congés parentaux que le reste de l’Europe. La Suède est très généreuse sur le congé des deux parents, qui sont complètement égalitaires. Il n’y a absolument aucune différence entre le congé de maternité et le congé de paternité. Il y a un temps égal qui est alloué à la maman, puis un temps égal au papa. Ensuite, on a un pot commun qu’on se partage comme on veut. Souvent, on arrive à être avec l’enfant jusqu’à son 1 an. À partir de l’âge de 1 an, la commune a une obligation de prendre en charge l’enfant dans une crèche, que nous appelons une pré-école. Cette pré-école prend en charge l’enfant entre 8 h du matin et 17 h environ, jusqu’à la classe de CP. Pendant cette période-là, jusqu’à l’âge de 12 ans, les parents ont le droit de faire des demandes pour garder le pot de congés parental et les utiliser comme ils veulent et quand ils veulent. Nous avons aussi le droit de demander à travailler à temps partiel à 75 % ou 50 % jusqu’à l’âge de 12 ou 15 ans de l’âge de l’enfant, donc ça joue énormément sur l’approche de comment on travaille l’équilibre travail – vie personnelle. Et surtout, ça joue énormément sur les carrières des femmes puisqu’avoir des enfants n’a pas autant de signification sur leur carrière et sur leur avancée de la carrière, que ça peut avoir dans d’autres pays. Évidemment, ce n’est pas parce qu’on est en congé que la carrière doit s’arrêter, au contraire, et puis un congé long ça peut aussi signifier une pause, mais on fait en sorte qu’il n’y ait pas d’inégalité entre les hommes et les femmes, c’est-à-dire que ces conditions-là valent pour tout le monde. Par exemple, j’ai ma petite de 2 ans qui est à la crèche en ce moment même et puis souvent je pars du travail sur les coups de 16 h pour aller la chercher à 17 h et puis je m’occupe d’elle et si j’ai besoin je travaille un petit peu de la maison le soir comme je veux. Ce n’est pas étrange chez nous.

Y a-t ’il du jugement de la part des collègues lorsque quelqu’un quitte le travail plus tôt ?

Jamais ! Ça n’existe pas et surtout ce serait très mal vu. Ce serait très mal placé de commenter le fait que tu es une vie privée, que tu vas chercher ton enfant et que ton enfant passe devant ton travail. Ça serait très mal vu de dire ça. Si je suis en réunion avec des gens très hauts placés et que la crèche m’appelle pour me dire que je dois aller chercher ma fille, il n’y a personne qui lèverait un sourcil. C’est quelque chose qui est très accepté.

La Suède est reconnue sur la scène internationale pour son innovation. On parle beaucoup de conciliation travail – vie personnelle, crois-tu que le fait de prendre des pauses incite à l’innovation ?

Je pense que la culture innovatrice de la Suède dépend de plein de facteurs. Déjà on a un système éducatif qui est très basé sur l’aspect innovant, c’est-à-dire qu’on laisse beaucoup de liberté de penser et de « problem solving ». C’est un système éducatif qui n’est pas axé sur l’apprentissage par cœur et qui n’est pas très encadré en Suède. C’est beaucoup plus axé sur l’apprentissage par des aspects de la vie pratique et puis beaucoup plus de « problem solving », donc déjà on a une base d’éducation qui est très propice à ça. Ensuite on a évidemment un système gouvernemental qui met énormément de moyens à cet égard, parce qu’on est une toute petite économie et on est très dépendant du marché extérieur. Pour que notre économie puisse fonctionner de façon correcte, il faut qu’on puisse vendre à l’extérieur. Nos matières premières sont tout ce qui est métal, minerais et bois. Nous fabriquons beaucoup de papiers, mais aussi beaucoup de médicaments. On est un pays qui exporte énormément de services, beaucoup dans le monde de la technologie, de l’AI, etc. C’est quelque chose qu’on encourage très tôt. C’est aussi le fait qu’on ait cette liberté de travailler sur ses propres projets et de travailler de la maison, où on a aussi un énorme accès à la nature comparé à d’autres capitales européennes. On a la nature dans la ville, je crois que ça aussi c’est évidemment très propice à un esprit calme et un esprit calme travaille souvent de façon très efficace. Après il y a d’autres théories qui vont à l’encontre de ce que je viens de dire, qui disent que souvent on est plus innovant quand on est sous pression, on peut aussi voir ça de ce côté-là. C’est-à-dire qu’il fait nuit très longtemps, il fait extrêmement sombre l’hiver, entre mi-septembre et mi-avril, et il fait très froid. Le soleil se couche sur les coups de 14 h 30 et je pense que le besoin de s’échapper, de s’évader, d’innover est très fort. On est à la maison, on fait beaucoup de choses. Le design intérieur est très évolué parce qu’on accorde beaucoup d’importance à ce qui se passe à la maison.

Il fait sombre une bonne partie de l’année et pourtant on dit des pays nordiques qu’ils sont parmi les plus heureux. As-tu des trucs à nous partager d’éléments que vous amenez dans votre maison et qui font la différence en hiver ?

Beaucoup de bougies ! Au Danemark, ils ont ce mot « Hygge », qui est très à la mode maintenant de façon internationale. On a le même concept en Suède. À l’intérieur, ça doit être très cosy, on utilise des lumières douces. On a du mal à comprendre les spotlights et les lumières très blanches néon au plafond, on n’y arrive pas, c’est quelque chose dont nous sommes allergiques. Nous utilisons des petites lampes d’appoint avec des lumières très chaudes. Les maisons chez nous sont très confortables, il faut que le design intérieur, les meubles, soient très harmonieux. Il faut que ce soit lumineux. Donc on a des intérieurs qui invitent vraiment à passer du temps à l’intérieur. On n’a pas besoin d’être dehors tout le temps. Évidemment, c’est un mode de vie qui est différent. J’aime beaucoup aussi le mode de vie qui est beaucoup plus extérieur. Quand je suis en France, c’est vrai que ça fait une énorme différence et c’est là qu’on voit à quel point c’est important d’avoir un intérieur qui est vraiment très harmonieux et très douillet.

Parle-moi un peu de la culture d’affaires suédoise.

Alors la culture d’affaires, il faut partir du principe que les Suédois ils ont beaucoup de mal à dire non. Donc déjà si on part de ce principe-là on comprend beaucoup de choses ensuite dans les négociations. Souvent, les Suédois préfèrent faire durer longtemps les discussions avant d’arriver à un non et ça peut être décevant dans plusieurs négociations qui prennent pas mal de temps et qui laissent beaucoup d’espoirs pour les entreprises qui viennent de sud de l’Europe ou d’ailleurs. Les Suédois ont du mal à dire non, mais ils sont très straight forward, c’est-à-dire qu’ils ne perdent pas de temps quand ils veulent quelque chose et que vous entrez dans une réunion. Il n’y a pas beaucoup de chitchat au début des réunions. Aussi, nous n’avons pas de réunionite, on ne souffre pas de cette maladie-là, on est ici pour être efficace, on prend des décisions et souvent à la fin de la réunion on dit bon quels sont prochaines étapes. C’est très pratique. C’est aussi très apprécié si vous envoyez par exemple une invitation avec vraiment le but de la réunion, un petit ordre du jour avec les décisions à prendre. C’est quelque chose qui est extrêmement apprécié de la part des Suédois.

Quelles sont les préoccupations des membres de la Chambre de commerce présentement ?

Alors en ce moment il y a beaucoup de préoccupations liées à la guerre. Nous avons la guerre à nos portes et pas qu’une, on en a deux, dont une qui est beaucoup plus proche, qui est vraiment chez les voisins. La Suède est en dans un processus d’adhésion à l’OTAN, donc il y a les conséquences de ça, qu’est-ce que ça va changer, quelles sont les conséquences pour notre pour notre sécurité, pour nos questions de défense. Ça a un impact énorme sur notre société civile et entrepreneuriale. On a des grosses entreprises qui sont de gros joueurs sur les scènes de défense internationales par exemple SAB. Ces entreprises sont directement impactées avec ces situations géopolitiques. Il y a donc la géopolitique qui est une grosse question. Je pense que l’inquiétude pour nos entreprises aujourd’hui, il y a évidemment l’inflation qui a frappé l’économie des particuliers et l’économie des entreprises. On est toujours dans une situation post-covid. On a évidemment des questions climatiques qui sont très hautes sur l’agenda suédois… Il y a quand même beaucoup de points d’inquiétude au niveau des entreprises aujourd’hui et on a du mal à voir, je pense, le bout du tunnel. Je crois qu’on a mal évalué pendant les années où la conjoncture était très haute. On a du mal à évaluer le niveau de la chute en fait. S’il y a vraiment une chute qui va continuer ou si elle va se stabiliser. Aujourd’hui, on dit que ça va stabiliser, mais c’est purement économique. Je pense qu’au niveau géopolitique, on a du mal à vraiment prévoir les conséquences. La Suède a été un pays neutre pendant très très longtemps, elle n’a pas été en guerre depuis des années et je crois qu’ils ont du mal à contrôler la situation et à prévoir ce qui va se passer.

Est-ce que le consommateur, avec l’inflation, a plus de difficulté à consommer ? Sentez-vous un impact ?

Oui, oui ! La consommation a ralenti. Les taux d’intérêt surtout sur les prix d’habitation ont eu un énorme impact sur le sur la consommation quotidienne des Suédois.

Lorsqu’on regarde le schéma mondial, on est tous un peu touchés par l’après covid comment vois-tu l’avenir ?

Il faut savoir que l’économie suédoise est très dépendante de l’exportation. On est un tout petit marché, 70 % de notre export va vers l’UE. Aujourd’hui, les derniers chiffres montrent qu’il y a quand même un léger pessimisme chez les entreprises au niveau de l’export, mais qu’au final les chiffres n’ont pas tant bougé que ça. On va attendre les rapports pour l’année qui vient de se passer, mais les derniers chiffres c’est-à-dire les chiffres de 2022, il y avait évidemment un pessimisme et le niveau d’inquiétude était monté. Toutefois, les chiffres pur et dur ne montraient pas vraiment de chute au niveau de l’exportation de la Suède.

Quelle est la perception des Suédois envers le Canada ?

Il y a évidemment un très grand intérêt. Je crois qu’il y a beaucoup de points communs et les Suédois perçoivent les Canadiens comme leurs amis du Nord. Vous savez ce qu’est le froid, il y a des points communs mentaux qui ne sont pas négligeables. Je crois que de façon économique et de façon culture d’entreprise aussi, il y a il y a beaucoup de points point communs. Je sais que les Suédois vous trouvent sympa, gentils et ouverts. Ils perçoivent aussi le Canada comme un marché peut-être plus facile d’accès que le reste de l’Amérique du Nord.

Est-ce que les Suédois font la différence entre le Québec et le Canada ?

Pour moi c’est évident, à cause de mon parcours en France, mais pour les Suédois ce n’est pas forcément évident. C’est plutôt le Canada et puis ah oui il y a le Québec. Ce n’est pas le premier réflexe. Ils savent qu’il y a le Québec, mais je pense que c’est un peu comme la France qui avait l’habitude de dire que la Scandinavie c’était tous les pays au nord de l’Europe, presque inclus l’Allemagne. On généralise un petit peu et évidemment je crois qu’il y a cette généralisation de la part des Suédois et si on peut améliorer la connaissance c’est positif.