Catherine Gervais, directrice générale de Carrefour Québec International, rencontre Marie-France Stendahl, architecte québécoise qui a travaillé durant plusieurs années chez White Arkitekter en Suède. Dans cet épisode, Marie-France nous parle des façons dont les villes sont construites en Suède, de l’importance qu’occupent la nature et la mobilité urbaine, ainsi que d’idées inspirantes que nous pourrions importer au Québec.
Merci de partager avec vos amis entrepreneurs, vendeurs et professionnels généralement intéressés par les affaires à l’étranger. Carrefour Québec international (CQI) et ses experts accompagnent les entreprises du Centre-du-Québec, de l’Estrie et de la Mauricie dans leurs projets d’expansion hors Québec et à l’international.
Ce balado a été réalisé suite à un appel à projets du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec (MRIF) pour une mission en Scandinavie.
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Marie-France, tu es architecte, tu habites en Suède, mais tu es de nationalité canadienne. Parle-moi un peu de toi.
Oui, je suis québécoise et je fais partie des Gravel de la Côte-de-Beaupré, de Château-Richer. J’ai également vécu très tôt dans le nord du Québec avec ma famille, car mon père participait à la transition énergétique des années 70. Il travaillait sur le projet LG2 à la rivière La Grande, ce qui nous a conduits à habiter à Fort George puis à Chisasibi dans les années 80.
Je me souviens que nous étions un peu comme des réfugiés climatiques, car l’exploitation du barrage avait fait monter le niveau de l’eau à Fort George, ce qui a mené à la création de Chisasibi. C’était une époque marquante, avec des événements comme le transport de bâtiments emblématiques sur des barges, dont l’église, qui était un sujet médiatisé à l’époque.
Cette expérience a profondément marqué mon ADN, m’inculquant l’importance de l’énergie comme ressource naturelle. Mon père nous a toujours sensibilisés à l’importance de la conservation de l’énergie, et ce n’est que récemment que j’ai pleinement compris pourquoi il y tenait tant.
Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter le Québec pour aller étudier en Suisse ?
En fait, ma décision de partir en Suisse a été fortement influencée par ma sœur. Elle avait été recrutée pour travailler comme infirmière en Suisse à une époque où il y avait une crise dans les hôpitaux et les infirmières avaient des conditions de travail très difficiles.
J’avais commencé mes études en architecture à l’Université Laval à Québec, mais je n’étais pas entièrement satisfaite de l’expérience, notamment parce que les écoles étaient souvent en grève. Ma sœur m’avait invité à la visiter fréquemment en Suisse, et finalement, cela m’a donné envie de m’y installer.
J’ai fait une année de stage en Suisse et j’ai été acceptée à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. C’est là que j’ai obtenu mon master, avant de travailler avec les architectes renommés Gigon Guyer à Zurich. Cette expérience a été extrêmement enrichissante et a bien complété mon parcours académique et professionnel.
Tu habites maintenant en Suède, qu’est-ce qui t’a amené là-bas ?
Bon, on pourrait faire un autre podcast là-dessus. En fait, j’ai rencontré le père de mes filles en Suisse. Il travaillait, et il travaille toujours, pour Tetrapak, une entreprise de packaging dont le siège social est en Suède. C’est par l’intermédiaire d’un collègue que nous nous sommes rencontrés. Je suis donc arrivée en Suède pour des raisons privées.
C’était aussi une période où les architectes suisses étaient très recherchés en Europe, notamment avec des projets comme la Tate Gallery à Londres. J’ai repéré une opportunité chez White Arkitekter et j’ai envoyé mon application. Mon patron actuel m’a engagée sans que je parle suédois, en me disant « Je sais que tu vas apprendre le suédois ». C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière en Suède.
Et puis, est-ce que tu as appris le suédois ?
Oui, oui, selon mes enfants, non, mais oui. Mon QI est au maximum en français. Je parle anglais et suédois, mais je ne suis vraiment pas experte. Si j’ai pu apprendre le suédois, tout le monde peut l’apprendre.
Donc, tu es partenaire chez White maintenant, et tu es directrice du développement des affaires pour le Canada. Au niveau de l’architecture en Suède, est-ce que tu trouves que c’est un pays inspirant ?
Oui, c’est inspirant. Il y a une autre approche, un autre rôle de l’architecte par rapport à d’autres pays, notamment par rapport à la Suisse. En Suisse et dans d’autres pays, l’architecte a un rôle plus important au niveau de la construction et de l’exécution de l’architecture. Ici, en Suède, pour des raisons historiques, l’architecte a un rôle moins central dans la construction. En Suisse, je dessinais un concept et m’occupais de l’exécution, ce qui se fait moins ici.
Cependant, il y a une approche de design urbain très développée en Suède, ce qui nous rend attractifs dans d’autres pays nordiques. Il n’y a pas que l’architecture, il y a aussi le design intérieur, le design des objets, des rideaux, des tissus. Les pays scandinaves sont très connus pour ça. Chez White, une de nos forces est notre capacité à faire du design à petite échelle, comme le design de notre agence à Malmö, jusqu’à des projets à grande échelle, comme le déplacement de la ville de Kiruna au nord de la Suède. Cette échelle de travail est ce qui fait la force de l’architecture scandinave et du design intérieur.
Qu’est-ce qui explique que ce côté architecture soit si développé en design intérieur, selon toi ?
C’est le climat. Une des raisons est que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Suède est très différente du Québec au niveau du climat. Même si les deux régions partagent une géographie et une nature similaires, la lumière et les températures varient énormément.
Ici, au sud de la Suède, les journées d’hiver sont beaucoup plus courtes que celles de Québec et de Montréal, qui se trouvent au niveau de Bordeaux en Europe. En hiver, on passe beaucoup plus de temps à l’intérieur à cause de la faible luminosité. Plus au nord, à Kiruna par exemple, il fait nuit pendant de longues périodes en hiver, tandis que l’été, c’est l’inverse. Les écarts de température sont également moins importants en Suède qu’au Québec. Ici, au sud, il est rare qu’il fasse en dessous de -5 °C en hiver, et il y a beaucoup moins de neige.
Ce besoin de passer plus de temps à l’intérieur en raison de la faible lumière et des températures relativement douces a conduit à une attention particulière à l’aménagement intérieur, rendant les espaces plus chaleureux et confortables avec l’utilisation abondante de bois et de matériaux chaleureux.
Ce qui nous garde moins à l’intérieur, mais qui est différent du Québec, c’est que l’écart de température est beaucoup moins important ici par rapport à ce qu’on vit au Québec.
Est-ce que tu vois des différences avec le Québec sur la préoccupation environnementale ?
Oui, il y a des différences significatives, mais ce n’est pas parce que la Suède est meilleure. C’est parce que nous avons dû faire face à ces problèmes plus tôt que ce qui s’en vient en Amérique. Par exemple, le Québec a une production hydroélectrique très élevée, à 94 %, alors qu’en Suède, c’est environ 50 %. L’autre moitié de notre énergie provient du nucléaire, et nous utilisons également le recyclage et la combustion des déchets pour créer de l’énergie, ainsi que du biogaz pour les autobus.
Les coûts énergétiques plus élevés en Suède et la moindre disponibilité de l’énergie hydroélectrique propre nous obligent à avoir des enveloppes de bâtiment beaucoup plus énergétiques, avec une perte énergétique minimale. La réglementation stricte sur l’efficacité énergétique est motivée non seulement par des coûts élevés, mais aussi par une conscience environnementale accrue et la reconnaissance de la crise climatique.
Nous essayons de minimiser la pollution autant que possible, d’utiliser des sources d’énergie propre et de gérer nos ressources énergétiques de manière responsable pour ne pas les épuiser.
Au niveau de la construction, est-ce qu’on voit les mêmes isolants ? Est-ce que ça a évolué au cours des dernières années ?
Oui, l’enveloppe des bâtiments est plus étanche. Nos standards sont très élevés, souvent plus stricts que ceux du Québec. Nous devons être en dessous de 75 kWh par mètre carré annuellement pour les bâtiments résidentiels. Ce n’est pas seulement une question d’épaisseur d’isolant, mais aussi d’orientation du bâtiment pour maximiser l’apport solaire, de manière à chauffer naturellement et à éviter la surcharge thermique en été. La climatisation est très rare ici comparée au Québec. On privilégie la ventilation naturelle et les systèmes mécaniques consomment moins d’énergie.
Nous utilisons beaucoup de photovoltaïques, même si nous avons 30 à 40 % moins de lumière par an par rapport au Québec, parce que le coût de l’énergie est suffisamment élevé pour que ce soit rentable. Ce n’est pas encore le cas au Québec.
Est-ce que les bâtiments sont dotés de panneaux solaires ?
Oui, beaucoup de bâtiments en ont. De plus, nous avons souvent des systèmes de chauffage de quartier. En été, nous produisons souvent plus d’énergie que nécessaire, donc nous pouvons la vendre au réseau et la racheter en hiver. Cela permet de contribuer au réseau avec notre production énergétique.
On voit beaucoup ici au Québec les maisons commencent à s’orienter sud justement pour utiliser le soleil, mais là, c’est des nouvelles constructions. Donc, pour une ancienne construction, parce qu’on parle d’histoire, il y a quand même de l’histoire en Suède. À Stockholm, les bâtiments ne sont pas neufs. Comment est-ce qu’on fait pour intégrer cette mentalité-là d’utiliser la chaleur du soleil et la fenestration ? Est-ce qu’on est capable ou est-ce vraiment les panneaux solaires qui vont venir compenser ?
Il y a plusieurs aspects à cela. Je pense que c’est ancré dans la culture suédoise et dans l’architecture d’orienter les bâtiments de façon à maximiser l’utilisation de la lumière naturelle et de la chaleur du soleil. Même dans les bâtiments existants, il y a souvent une orientation optimisée vers le sud. C’est probablement dû au fait qu’il y a moins de lumière ici, donc chaque opportunité pour maximiser l’exposition au soleil est utilisée. On peut voir cette pratique même dans les anciens bâtiments. Cependant, pour les bâtiments qui ne peuvent pas bénéficier de cette orientation naturelle, les panneaux solaires sont effectivement une solution pour compenser.
Tu fais du développement des affaires au Canada. Est-ce que ton équipe doit s’adapter à la façon de faire du Québec ?
La force chez White, par exemple, dans le marché canadien, c’est que moi, je suis canadienne Québécoise, donc je connais très bien les deux contextes. En connaissant les deux contextes, tu connais aussi les limites. Même si un client veut quelque chose de très scandinave, il y a une limite à ce qu’on peut faire. On peut apporter nos connaissances et les adapter, mais on ne peut pas simplement reproduire le même modèle parce que le contexte est différent.
Par exemple, au niveau énergétique, l’énergie au Québec est beaucoup moins chère, donc les investissements dans des sources d’énergie alternatives comme les panneaux solaires ne sont pas toujours viables pour certains projets. Et il y a aussi la culture nord-américaine de la voiture. En Suède, et en Europe en général, le transport est beaucoup plus centré sur l’humain, avec la voiture venant après. Les villes sont conçues pour faciliter le déplacement à pied, à vélo et en transport en commun. Cela rend les villes plus agréables à vivre parce qu’elles sont aménagées pour les humains, pas pour les voitures.
Quand j’arrive avec des projets de design urbain, il y a souvent un choc culturel parce que même avec l’intention de créer des écoquartiers, la réglementation sur les voitures est toujours trop élevée. Les développeurs doivent souvent inclure beaucoup de places de parking pour vendre leurs appartements, ce qui complique les choses. Une autre difficulté est que dans les quartiers où il serait intéressant d’avoir moins de voitures, les services de transport public ne sont pas toujours suffisants. C’est donc difficile de dire à quelqu’un de ne pas prendre sa voiture s’il ne peut pas se déplacer efficacement autrement.
En Suède, quand on développe les quartiers, on s’assure qu’il y a un calcul qui est fait d’un maximum de minutes entre la porte d’entrée et l’accès à un transport en commun.
Tout est réfléchi en fonction du transport en commun ?
Oui, il y a un projet assez connu qui s’appelle BoKlok. Bok ça veut dire habiter. C’est une association qui s’est faite entre IKEA et un développeur où ils développent des quartiers en périphérie des villes pour pouvoir offrir à des familles. Et c’est tellement devenu populaire que lorsqu’il y a un nouveau projet BoKlok, comme les emplacements sont tirés au hasard, il y a une zone où les gens doivent aller et faire la queue au IKEA pour pouvoir mettre leur nom dans la boîte. Les habitants de ces quartiers, ce sont des familles, généralement qui n’ont pas de voiture ou une voiture, alors la première chose qu’ils s’assurent est que ce soit desservi au niveau du transport en commun.
Dans ces écoquartiers, j’imagine qu’il y a des endroits qui sont pensés pour la communauté ?
Ce qui est pensé pour la communauté ce sont les espaces de jeux, les espaces verts et l’accès à la nature.
Au niveau du transport en commun, on a parlé de la facilité d’utilisation pour se rendre au travail ou dans la ville, mais le transport entre les villes est aussi bien desservi. Notre agence a un bureau à Stockholm. Entre Stockholm et où j’habite, c’est environ 7 h de voiture ou 40 minutes d’avion. Si je dois aller à Stockholm, je prends généralement le train, car en 5 h de train je suis arrivée. Dans le train, tu es bien installé et tu peux travailler, tu as accès à internet. Je ne sais pas si tu as déjà pris le train entre Québec et Montréal, mais en général c’est très long ! C’est pour ça que les gens ne vont pas prendre l’option. Même si tu as des bonnes volontés, puis de bonnes intentions, si ce n’est pas le moyen le plus efficace, ça ne sera pas le premier choix.
L’habitation pour les personnes âgées est un problème au Québec. Comment cela se passe en Suède ?
En effet, il y a des différences notables entre la Suède et le Québec en ce qui concerne l’habitation des personnes âgées. Durant la pandémie, j’ai eu accès à des chiffres qui indiquaient qu’au Québec, environ 20 % des personnes de 65 ans et plus vivent dans des logements réservés aux personnes âgées, tandis qu’au reste du Canada, ce taux est de 8 %. En Suède, ce chiffre est encore plus bas, autour de 3-4 %. Ainsi, la culture suédoise a une approche différente envers les personnes âgées.