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Affaires internationales

Les Exportants – Épisode 51 – De Drummondville à Helsinki

Visuel Les Exportants Ep 51 - De Drummondville à Helsinki

Date de diffusion :

18 juin 2024

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Catherine Gervais, directrice générale de Carrefour Québec International, rencontre Alexandre Pelletier-Normand, PDG de Rovio Entertainment. Rovio Entertainment est une société de divertissement finlandaise fondée en 2003 reconnue pour avoir créé la franchise à succès Angry Birds. Dans cet épisode, Alexandre nous parle de son parcours international, qui l’a mené à la tête de cette entreprise finlandaise, mais aussi des différences cultures entre le Québec et la Finlande.

Merci de partager avec vos amis entrepreneurs, vendeurs et professionnels généralement intéressés par les affaires à l’étranger. Carrefour Québec international (CQI) et ses experts accompagnent les entreprises du Centre-du-Québec, de l’Estrie et de la Mauricie dans leurs projets d’expansion hors Québec et à l’international.

Ce balado a été réalisé suite à un appel à projets du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec (MRIF) pour une mission en Scandinavie.

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Parle-moi un peu de toi et de ton parcours

Écoute, mon parcours est un peu atypique. Je suis originaire de Drummondville, au Québec, et maintenant je vis en Finlande où je suis à la tête de Rovio, l’entreprise derrière Angry Birds. Honnêtement, si tu avais regardé mon parcours au départ, rien n’indiquait que j’aboutirais ici.

J’ai étudié l’informatique et les mathématiques à l’Université de Sherbrooke. À l’époque, je ne pensais pas du tout devenir PDG d’une entreprise de jeux vidéo. C’est grâce au régime coopératif de l’université que j’ai pu cumuler des expériences de travail, ce qui m’a permis de découvrir différentes industries, dont celle du jeu vidéo. Montréal a toujours été une grande ville pour les jeux, et j’ai rencontré des gens de cette industrie qui étaient vraiment passionnés et décontractés. Leur enthousiasme et leur approche m’ont attiré.

Je suis quelqu’un de très cartésien, je réfléchis et planifie tout ce que je fais. Mais j’ai toujours été fasciné par les gens créatifs, et c’est une des raisons pour lesquelles l’industrie du jeu vidéo m’a autant plu. Être entouré de créateurs et d’innovateurs, ça m’a vraiment inspiré.

À la fin de l’université, j’étais programmeur de jeux vidéo dans une compagnie française basée à Montréal. Dès que les jeux vidéo sur mobile ont commencé à exister, au début des années 2000, cette compagnie a décidé de se lancer dans ce domaine. À l’époque, on parlait de jeux en noir et blanc sur de petits écrans. Moi, j’étais programmeur, mais l’industrie a vraiment explosé.

Comme la demande était énorme, la compagnie avait besoin d’ouvrir des studios à travers le monde et ils cherchaient quelqu’un avec un background technique pour recruter des programmeurs dans différents pays. On m’a donc demandé de m’en charger. À peine un an après avoir commencé à travailler là, on m’a envoyé aux États-Unis pour lancer un studio. Ensuite, les missions se sont enchaînées : je suis allé au Vietnam, au Brésil, en Argentine, et finalement à Paris. À chaque fois, je créais un studio, trouvais quelqu’un pour le gérer, puis je partais dans le prochain pays pour refaire la même chose.

J’ai beaucoup voyagé à cette époque et j’ai trouvé ça super fun. Le niveau de responsabilité qu’on me confiait était incroyable, surtout que je n’avais pas beaucoup d’expérience. Je faisais juste de mon mieux, mais ça fonctionnait plutôt bien. J’ai fait plusieurs missions comme ça avant de finalement me retrouver à la tête de Rovio en Finlande.

Je ne connais pas bien l’industrie du jeu vidéo, quand on décide d’ouvrir une autre boîte, c’est pour aller chercher de nouveaux talents ?

À cette époque-là, c’était un peu différent. On a l’impression que l’industrie du jeu vidéo est relativement récente, mais quand je parle de cette période, je ne me rajeunis pas. C’était bien avant l’iPhone et les téléphones Android. Pour développer des jeux, il fallait parfois être physiquement présent dans une zone géographique spécifique pour pouvoir développer des jeux sur les plateformes utilisées localement. Donc, si tu voulais faire des jeux pour les États-Unis, il fallait être aux États-Unis. Si tu voulais faire des jeux pour différents pays d’Amérique latine, il fallait être dans ces pays-là. Une des raisons principales était donc géographique.

L’autre raison était la capacité. À cette époque, il y avait une fragmentation des téléphones, chaque modèle étant différent. Il fallait supporter des milliers de téléphones différents, donc on avait besoin de recruter des milliers de personnes pour y parvenir. On devait aller chercher des talents partout dans le monde.

Tu as mentionné que tu avais à monter des studios de développement dans différents pays. Comment vivais-tu ce changement constant ?

Au début c’était un peu insécurisant. Je me rappelle encore mon arrivée au Brésil. Je ne parlais pas portugais, je ne connaissais personne, et il fallait que j’ouvre un studio, crée une structure, ouvre un compte de banque, trouve des locaux, recrute des gens, et tout ça. C’était intimidant, mais à force de le faire, on se rend compte que ce n’est pas si pire. Ça demande juste du temps et de la persévérance, mais on finit par y arriver. C’était une époque où il fallait vraiment se retrousser les manches et s’adapter rapidement.

Quand on y repense, c’était cowboy. Mais ces expériences t’ont forgé. Comment es-tu passé du rôle de programmeur à celui de gestionnaire ?

Ça a été un gros tournant pour moi. J’adorais être programmeur, c’était une passion depuis l’université. Mais en avançant dans ma carrière, les postes et missions offerts étaient de plus en plus orientés vers la gestion. J’ai dû me poser la question : est-ce que je veux vraiment devenir gestionnaire ? Le monde de la programmation évolue constamment et je craignais de ne plus pouvoir y retourner facilement.

Finalement, la gestion m’a plu et j’ai continué dans cette direction. On m’a offert des postes de plus en plus importants. Dans ma vingtaine, c’était facile de voyager de pays en pays, sans attache ni famille. Mais arrivé en France, j’ai eu une crise de la trentaine : est-ce que je veux continuer à voyager tout le temps ? J’ai décidé de retourner au Québec et de lancer ma propre compagnie.

J’ai quitté mon emploi et lancé une boîte à Montréal, un fonds d’investissement pour jeunes entrepreneurs dans le domaine du jeu vidéo. Avec des amis et collègues, nous avons investi dans des startups, aidant des développeurs à créer et commercialiser leurs propres jeux. Plusieurs des compagnies que nous avons aidées existent encore aujourd’hui et ont pignon sur rue au Québec.

On travaillait avec des gens venant de grosses compagnies de Montréal qui voulaient lancer leur propre entreprise. À cette époque, l’écosystème à Montréal et au Québec n’était pas aussi riche qu’aujourd’hui. Les crédits d’impôt pour les entreprises du multimédia et des jeux vidéo favorisaient souvent les grandes entreprises étrangères, qui avaient les moyens de lancer leurs opérations sans avoir besoin de fonds immédiats, contrairement aux entreprises locales. Ces dernières avaient besoin de liquidités dès le départ pour se lancer. Nous voulions remédier à ce problème en soutenant les jeunes entrepreneurs locaux. Heureusement, aujourd’hui, la situation semble beaucoup mieux grâce à un écosystème plus mature et favorable pour les startups locales.

Tu étais à la tête de ta propre entreprise lorsque Rovio t’a approché. Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?

Oui, c’est exact. Rovio m’a approché à cette époque. J’étais plus âgé, avec une famille, ce qui rendait les décisions plus compliquées. Ils m’ont offert un poste comme chef de leur division de jeu, leur plus grande division, même si Rovio ne fait pas que des jeux. Ils m’ont invité en Finlande, et même si j’étais hésitant à cause du climat, j’ai été charmé par leurs méthodes de gestion. Nous avons déménagé en Finlande début 2019 avec ma famille, et un an plus tard, le conseil d’administration m’a proposé de devenir PDG. Même si ce rôle impliquait des responsabilités que je ne connaissais pas bien, notamment interagir avec les investisseurs et les analystes, j’ai accepté. J’étais soutenu par un excellent chef des finances, et j’ai découvert que les investisseurs appréciaient ma connaissance des produits et ma passion. La transition de chef de division de jeu à PDG s’est très bien passée, et c’est une expérience que j’ai adorée.

La culture d’affaires et l’approche de travail sont différentes en Finlande. En tant que Québécois à la tête d’une entreprise finlandaise, comment s’est déroulée cette période d’adaptation ?

Il y a eu une période d’adaptation, ça n’a pas été facile tout de suite. J’avais beaucoup travaillé pour des compagnies françaises, où la gestion est souvent descendante, avec des décisions prises au siège et exécutées par les studios satellites. Ça, ça ne fonctionne pas du tout en Finlande. Ici, c’est exactement l’inverse. Les entreprises finlandaises, en général, fonctionnent avec des équipes réduites, mais extrêmement qualifiées et passionnées. Ces personnes s’attendent non seulement à ce qu’on leur explique les décisions stratégiques, mais elles veulent aussi y participer activement.

Donc, il a fallu que je m’adapte. Les gens ici m’ont rapidement fait comprendre que la gestion descendante ne fonctionnerait pas. Ils veulent faire partie du processus de décision, apporter leurs idées et brainstormer sur les meilleures façons d’attaquer le marché et d’utiliser nos avantages stratégiques. C’est un système où, plutôt que de dicter quoi faire, on collabore et on se soutient mutuellement.

Cette approche m’a vraiment séduit dès le départ. Maintenant, je l’apprécie énormément. J’ai l’impression de pouvoir m’appuyer sur toute l’équipe, pas seulement sur l’équipe de gestion. Mon rôle est de prendre des décisions stratégiques globales, et ensuite, les chefs d’unité décident comment ces orientations stratégiques s’appliquent à leur propre unité. C’est très différent de ce que j’avais connu auparavant, mais j’adore ça.

Rovio compte un peu plus de 500 employés, comment fais-tu pour aller chercher le cœur de tout le monde et pour les rallier ?

Une fois par an au moins, on réunit un groupe assez large pour discuter des orientations stratégiques. Ce sont souvent des lacs à l’épaule qui durent plusieurs jours. On fait de la recherche et nos devoirs avant de se rencontrer pour réfléchir aux problèmes. Ensuite, on se réunit pour en parler lors de divers ateliers. À la fin, des spécialistes en stratégie résument tout ce qui s’est dit et on continue la discussion après.

Ensuite, bien sûr, on n’a pas les 550 employés à ces réunions, mais plutôt 20-30-40 personnes. On communique ensuite avec les équipes via une stratégie de communication. On fait ce qu’on appelle des feux de camp, ou campfires, où on rencontre tous les employés au moins une fois par mois pour discuter des orientations stratégiques et inviter tout le monde à donner leurs commentaires. La stratégie s’ajuste en fonction de ces retours.

C’est une culture d’entreprise très ouverte. Personne n’a de bureau fermé, ce qui est assez commun dans l’industrie du jeu. On utilise aussi des outils de travail où les gens peuvent me contacter directement, ou d’autres membres de l’équipe de direction, pour exprimer leur accord ou désaccord avec certaines décisions. On ajuste en conséquence.

Depuis ton arrivée à la tête de Rovio, tu sembles avoir une stratégie d’expansion avec l’ouverture de nombreux bureaux. Peux-tu nous expliquer cette stratégie ?

On a ouvert plusieurs studios pour diverses raisons. Récemment, on a été acheté par Sega, une compagnie bien connue dans le domaine des jeux vidéo. Cette acquisition ouvre plein d’opportunités, car Sega est fort en jeu console et PC, tandis que Rovio excelle en mobile. Ils veulent développer leurs compétences mobiles et nous aider à amener Angry Birds sur console et PC. C’est un mariage parfait de compétences complémentaires.

Pour gérer ces nouveaux projets, on a besoin de recruter davantage. On profite du talent au Québec et en Ontario, et on a fait des acquisitions en Turquie pour renforcer nos équipes en Finlande. Cependant, il peut être difficile de recruter en Finlande ou d’attirer des étrangers. Pour pallier cela, on a aussi ouvert un studio en Espagne pour accélérer le recrutement. Donc, il y a plusieurs raisons derrière cette expansion.

Comment ça se passe au niveau de la culture d’entreprise avec des bureaux aussi loin ? Comment fais-tu pour amener cette culture finlandaise unique ? Est-ce facile ou y a-t-il des chocs culturels ?

Ce n’est pas toujours facile de ne pas perdre la culture en ouvrant des studios à l’étranger. La clé réside dans la sélection des premiers gestionnaires. Lorsqu’on recrute des chefs de studio, ils passent plusieurs semaines en Finlande pour s’imprégner de notre façon de faire et de notre culture. Ensuite, on organise des rencontres trimestrielles en Finlande avec tous les gestionnaires des différents studios pour discuter de stratégie et renforcer cette culture.

Moi et d’autres membres de l’équipe de direction visitons aussi ces studios, mais tout ce processus a évolué avec le temps. On a commis des erreurs au début, réalisant qu’un studio en particulier ne reflétait pas la culture qu’on voulait créer. On a dû remédier à cela en changeant notre façon d’intégrer de nouveaux studios, en assurant qu’ils participent aux réunions hebdomadaires sur divers sujets. On n’est pas une organisation où chaque pôle est complètement indépendant. On crée des synergies entre les studios, ils se parlent tout le temps. Ce n’est pas parfait, mais on travaille constamment à entretenir et renforcer cette culture.

Tu parlais d’Angry Birds, votre produit phare. Est-ce que ça t’arrive de vouloir diversifier un peu votre offre, surtout quand d’autres produits fantastiques ne rencontrent pas le même succès ? Comment gère-tu ça ?

Ouais, c’est vrai. Angry Birds est plus qu’un simple jeu, mais c’est naturel de vouloir explorer d’autres marques. Avec Sega, on peut maintenant jouer avec des IP comme Sonic, ce qui est excitant. La culture finlandaise, avec son humilité, joue un rôle crucial ici. Personne ne se vante trop d’Angry Birds, car tout le monde sait que c’était le bon produit au bon moment, résultat de beaucoup d’acharnement.

Rovio a échoué 51 fois avant de créer Angry Birds, un rappel constant lors de nos réunions. On parle souvent de ça, car c’est motivant. Rovio a décliné la marque partout, avec des séries, des produits de consommation, des films. La marque est sortie du cadre du jeu vidéo, touchant tout le monde.

Être CEO de Rovio signifie aussi travailler sur des projets comme le prochain film Angry Birds. C’est excitant pour les employés, car leurs créations vivent au-delà des jeux, dans divers points de contact avec les consommateurs. Oui, on veut diversifier, mais la marque Angry Birds nous offre tellement de possibilités.

Les fondateurs ne sont plus là, mais la culture qu’ils ont créée reste forte. On a des photos, des premiers prototypes. Rovio est passée de trois personnes à 750 après le succès d’Angry Birds. Aujourd’hui, on est une grande boîte, mais on essaie de conserver cette culture d’origine.

Qu’est-ce qui t’a marqué le plus en arrivant en Finlande, quelles sont les grandes différences culturelles avec le Québec ?

Ouais, il y a eu des surprises quand on est arrivé avec la famille. Le sauna, c’est un cliché, mais très réel ici. Impossible de trouver une maison sans sauna, et les réunions se terminent souvent dans le sauna avec les collègues. Les Finlandais sont aussi très actifs, dans mon équipe de direction, plusieurs sont à des niveaux élevés en sports comme le hockey, le ski, la natation. C’est une population extrêmement en forme, ce qui est agréable à voir.

Ils sont aussi très honnêtes. Une anecdote : en se promenant, on voyait toujours des objets oubliés sur des bancs publics, des clés, des portefeuilles, des mitaines. Les gens trouvent ces objets par terre et les placent en vue pour que le propriétaire puisse les récupérer. Personne ne prend ce qui ne lui appartient pas. On a même eu quelqu’un qui a rapporté un portefeuille perdu à notre porte en moins d’une heure.

Au niveau des transports publics, c’est très bien organisé et gratuit pour les enfants. Ce qui est étonnant, c’est de voir des enfants de 7 ans seuls dans les transports en commun, car le pays est très sécuritaire. Cela fait partie de la culture, et personne ne trouve ça étrange.

La proximité avec la Russie inquiète-t-elle les gens en Finlande ?

Peut-être un peu au début, quand les tensions avec l’Ukraine ont commencé. C’est intéressant, car la Finlande était un pays neutre pendant des années, un pont entre l’Ouest et la Russie, et ils ne voulaient pas trop se prononcer. Ils étaient même contre l’idée de rejoindre l’OTAN. Avec les opérations militaires en Ukraine, ils ont rapidement changé d’avis et ont décidé de rejoindre l’OTAN. Cependant, je ne dirais pas qu’ils sont inquiets. Ils n’en parlent pas tant que ça, mais leur opinion est claire : ils sont touchés par ce qui se passe. Chez Rovio, nous avons des Ukrainiens et des Russes qui travaillent ensemble et s’entendent bien. Tout le monde est contre la guerre, mais je ne dirais pas que les gens ont peur. Ils en parlent moins, mais restent touchés par la situation.