Affaires internationales

Les Exportants – Épisode 52 – Durabilité et innovation dans le plein air

visuel Les Exportants EP52 - Haglofs

Date de diffusion :

25 juin 2024

PARTAGER : 

Catherine Gervais, directrice générale de Carrefour Québec International, rencontre Caroline Auclair, responsable de catégories Chaussures | Vêtements | Équipement chez Haglöfs. Haglöfs est une marque suédoise de vêtements et d’équipements de plein air. Haglöfs se distingue sur le marché par son engagement envers la durabilité et l’innovation. La marque utilise des matériaux recyclés et durables et met en œuvre des pratiques de fabrication responsables pour minimiser son empreinte carbone. Dans cet épisode Caroline partage son parcours professionnel, de ses études à l’Université de Sherbrooke à son expérience chez Salomon en France, jusqu’à son rôle actuel chez Haglöfs. Elle explique aussi comment les valeurs de durabilité se traduisent dans les produits de l’entreprise et dans ses stratégies de marché, offrant aux consommateurs des équipements de plein air de haute qualité qui respectent l’environnement.

Merci de partager avec vos amis entrepreneurs, vendeurs et professionnels généralement intéressés par les affaires à l’étranger. Carrefour Québec international (CQI) et ses experts accompagnent les entreprises du Centre-du-Québec, de l’Estrie et de la Mauricie dans leurs projets d’expansion hors Québec et à l’international.

Ce balado a été réalisé suite à un appel à projets du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec (MRIF) pour une mission en Scandinavie.

Lire l'entrevue complète

Caroline, tu travailles en Suède depuis quelques années, tu as un parcours super intéressant, tu as également travaillé en France auparavant. Parle-moi un peu de toi.

J’ai grandi sur la rive sud de Montréal. J’ai fait mes études en commerce, plus spécifiquement en marketing à l’Université de Sherbrooke. À la fin de mes études, j’avais envie d’aller en Europe pour y travailler et voyager. J’ai donc atterri en France chez Salomon. Initialement, je devais partir pour un stage de 6 mois et finalement les six mois se sont transformés en cinq ans. J’ai occupé le poste de chef produit pour ce qu’on appelle le Hard Goods, qui comprend tout ce qui est ski, bottes de ski, casques de ski. J’ai fait ça pendant cinq ans. Après cinq ans à apprendre énormément, tant d’un point de vue professionnel que personnel en France, j’ai eu envie d’un autre défi. C’est à ce moment-là que s’est présentée l’opportunité en Suède chez Haglöfs, toujours dans la gestion de produit. Ça fait maintenant trois ans que j’ai emménagé à Stockholm.

Comment as-tu fait pour obtenir ton premier emploi chez Salomon en France ?

J’ai envoyé des CV ! À ce moment-là, LinkedIn n’était pas très connu, on ne l’utilisait pas vraiment. Donc, j’ai envoyé des CV à quelques personnes ici et là que je connaissais, mais aussi beaucoup de CV pour essayer de me faire des connexions, en espérant qu’une ou deux fonctionnent. C’est vraiment la détermination qui m’a permis de décrocher mon poste.

Comment as-tu vécu cette première expérience d’expatriation, ça devait être tout un choc ?

Oui, je venais de finir l’université. J’avais eu trois stages au Québec, à Montréal avant, mais je n’avais pas vraiment d’expérience de travail. Ça a été une adaptation sur deux angles. Premièrement, j’ai dû m’adapter à la culture française. J’ai rencontré des gens exceptionnels dès le début, ce qui a rendu mon adaptation assez facile. Ensuite, il y avait aussi l’environnement de travail français, qui est différent de ce qu’on connaît au Québec. J’étais jeune, j’avais envie d’apprendre un nouveau métier. À l’école, on ne m’avait jamais enseigné ce que c’était d’être chef de produit. Ça a été une ouverture, essayer d’assimiler le plus d’information possible, et de faire un bout de chemin là.

En quoi consiste le rôle de chef produit et quelle est la différence avec ton rôle actuel de responsable de catégorie ?

Le travail du chef de produit est de comprendre quels sont les produits que les marques doivent lancer sur le marché pour correspondre à un besoin potentiel des consommateurs. Ça implique de parler à beaucoup de gens, que ce soient des consommateurs, des acheteurs de produits, des magasins, des athlètes ou des équipes de force de vente, pour absorber toutes ces informations et les traduire en une offre de produit. Le chef de produit travaille directement avec les produits. En tant que responsable de catégories, je travaille sur la vision à 3, 4, 5, voire 10 ans, sur comment on veut que Haglöfs soit perçu d’un point de vue produit.

Comment s’est présentée cette opportunité au sein d’Haglöfs ?

À la base, j’étais très attirée par les pays scandinaves, que ce soit la Suède ou la Norvège. J’avais envie de découvrir ces pays et de vivre leur culture. Haglöfs est une marque bien établie dans le monde de l’outdoor. Quand j’ai vu cette ouverture chez Haglöfs, ils cherchaient un chef de produit, exactement le genre de poste sur lequel j’étais déjà. Pour moi, ça faisait 1 plus 1. Le timing était bon aussi, car le timing joue beaucoup dans ce genre de déplacement. Les planètes se sont alignées pour bouger en Suède et découvrir une nouvelle culture, une nouvelle façon de penser, une nouvelle façon de travailler.

Comment se passe ta vie à Stockholm ? Quelles sont les principales différences que tu observes entre la vie là-bas et ici, ou en France ?

Ce qui est génial en Suède, c’est à quel point tout est proche, surtout pour le transport en commun. Entre le centre de Stockholm et mon bureau, il y a peut-être 20 minutes, que ce soit en vélo ou en métro. Tout est très accessible en transport en commun ou à vélo. Le matin, je me réveille, je vais au travail pour 8 h ou 8 h 30. C’est vraiment cool parce qu’il y a beaucoup de gens qui sont retournés au travail après le COVID, et pour mon travail, c’est très important d’être proche des produits et des équipes. Je vais au bureau au moins quatre jours par semaine.

Je pense que ce qui est très ancré dans la culture de travail suédoise, c’est déjà la hiérarchie qui est quasi inexistante, ou du moins très plate. C’est une culture de partage, que ce soit en réunion ou dans d’autres contextes. C’est très accessible de parler autant aux supérieurs qu’aux subordonnés. C’est très mélangé, ce qui est une différence flagrante par rapport à la hiérarchie en France et, j’imagine, aussi au Québec. En Suède, il y a aussi un équilibre entre la vie professionnelle et personnelle qui est assez hallucinant, avec le nombre de congés et de congés parentaux. C’est absolument incroyable, surtout comparé au Québec.

As-tu eu de la difficulté à t’adapter à ces différences culturelles ?

Oui, absolument. Je pense que la hiérarchie a été un aspect un peu difficile à comprendre au début, notamment comment parler à ton supérieur ou à ton équipe. Ce n’est pas la même façon qu’en France ou au Québec, et cela nécessite une certaine adaptation. Au début, je suis arrivée dans une équipe de chefs de produit. Nous étions cinq ou six dans l’équipe. Ensuite, il y a eu une restructuration, avec certaines personnes qui sont parties et d’autres qui sont arrivées. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à diriger une petite équipe de chefs de produit. Je devenais en quelque sorte chef de l’équipe de gestion de produit. Les décisions se prennent avec beaucoup de discussions. L’avis de tous est pris en compte, ce qui fait que les décisions peuvent prendre plus de temps à se finaliser. Cependant, elles sont prises par consensus, ce qui permet à toute l’équipe de se mettre d’accord et d’être en mesure de prendre une décision collective.

Par exemple, dans mes expériences précédentes, lorsqu’il s’agissait de définir une nouvelle gamme de produits, c’était souvent le chef qui décidait ce qu’il fallait faire. Chez Haglöfs, nous prenons en compte les points de vue de l’équipe de vente, de l’équipe marketing, du design, etc. Pendant une journée, nous partageons et expliquons nos points de vue. À la fin de la journée, nous avons un moment dédié pour prendre une décision ensemble. Certaines idées sont retenues, d’autres non, et le choix final sont le résultat de ces discussions collectives où nous passons toute la journée à réfléchir et à discuter. Ces rencontres sont structurées avec un agenda, et il faut respecter le temps alloué. Il y a des échanges et des questionnements tout au long de la journée. Certaines décisions sont challengées, ce qui peut prendre un peu plus de temps, mais les décisions finales sont bien fondées et impliquent tout le monde dans le processus.

Parle-moi un peu de Haglöfs.

Haglöfs a été fondée en 1914 par Victor Haglöf, un Suédois. Le cœur et l’héritage de la marque viennent vraiment de la Suède. À la base, l’entreprise fabriquait des sacs à dos de randonnée longue distance. Il y a environ quarante ans, ils ont décidé d’élargir leur portefeuille de produits en ajoutant des vêtements. Aujourd’hui, les vêtements représentent environ 80 % de notre chiffre d’affaires. Nous avons toujours les sacs à dos, qui restent essentiels pour notre entreprise, ainsi que les chaussures, principalement centrées sur la pratique de la randonnée.

Notre cœur de marché réside dans les pays nordiques et scandinaves, avec la Suède comme plus gros marché, suivie de près par la Finlande, la Norvège, et le Danemark. Ces dernières années, nous avons commencé à exporter et à bâtir une image de marque plus forte dans les pays de l’Europe centrale, comme l’Allemagne, la Suisse, la France, et l’Autriche, qui consomment beaucoup de vêtements de plein air et de montagne.

Les pays scandinaves sont reconnus pour leur engagement envers la durabilité et l’innovation. Haglöfs se démarque également par ses éléments. Comment ses valeurs se traduisent-elles dans vos produits et vos stratégies de marchés ?

Les pays nordiques sont inspirants, au même titre que le Québec. Ce sont de grands pays avec énormément d’espace et de très petite population. La nature est aussi vraiment très proche, elle est très proche de Stockholm, elle est très proche de Montréal ou de Québec et je pense que justement ça démontre aux gens qui consomment les produits des marques que ce soit suédois, que ce soit québécois, que les gens qui font ces produits-là ils sont dehors et ils testent leurs produits.

L’écoresponsabilité c’est vraiment au cœur de ce que Haglöfs fait depuis le début. Haglöfs a toujours poussé pour avoir des pratiques plus écoresponsables que d’autres marques. Nous utilisons des matières recyclées et recyclables dans nos produits depuis des dizaines d’années. Nos partenaires ont également des pratiques responsables et éthiques. Du point de vue des produits et de la marque, cet aspect se veut très authentique. On le fait parce qu’on veut le faire et non parce qu’on doit le faire.  

Dans ton équipe, est-ce que les gens pratiquent les sports de plein air ?

Oui, absolument. Autant sur l’équipe existante que sur les futurs recrutements, c’est vraiment quelque chose sur lequel on pousse beaucoup. Les gens doivent pratiquer l’outdoor pour faire ce genre de métier, du moins chez Haglöfs. Je pense que pour être un bon chef de produit, il faut croire en ces produits. C’est très difficile de vendre un produit, si toi, qui es au cœur du processus, n’y crois pas.

Les gens semblent beaucoup sortir de la ville les week-ends pour profiter du plein air. Trouves-tu que ça amène un mode de vie moins stressant comparé à un mode de vie plus à l’américaine ?

Oui, sans hésitation. La vie en Suède est vraiment moins stressante, en partie parce que la nature est si proche et parce que l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est extrêmement important. Cela enlève une couche de stress qui peut être insupportable pour certains, moi inclus. C’est assez relax ici.

Est-ce que tu sens une liberté que tu ne pourrais pas ressentir ailleurs ?

Oui, je pense que cette liberté vient autant du fait que la nature est très proche, ce qui permet de partir en randonnée ou de faire du sport en plein air même en soirée, pas seulement le weekend. Cela vient aussi du fait que les Suédois font confiance aux capacités des gens autour d’eux, surtout d’un point de vue professionnel. Ils croient que chacun est le plus apte à faire son rôle, et cette confiance apporte énormément de liberté.

Tu gères une équipe où les membres ne viennent pas forcément au bureau aux mêmes heures que toi. Comment fais-tu pour avoir cette confiance ? Est-ce naturel ou as-tu des problèmes parfois ?

C’est un sujet assez délicat en Suède. Comme je l’ai mentionné, il y a beaucoup de liberté et de confiance. Cependant, aborder des sujets compliqués est plus difficile. Les Suédois disent souvent “oui, ça va”, mais quand il s’agit d’améliorer ou de critiquer, c’est plus compliqué. Cela dit, mon bagage canadien et français me pousse à garder une communication très ouverte et transparente. J’attends la même chose de mon équipe. S’il y a quelque chose que je fais mal, j’attends qu’ils se sentent libres de me le dire.

Au niveau des horaires, c’est vraiment flexible. Des gens avec de jeunes enfants ou des passions peuvent partir plus tôt sans être jugés par leurs collègues. Par exemple, quelqu’un peut partir un mardi à 15 h 30 pour aller chercher son enfant, et c’est parfaitement accepté dans l’entreprise. Souvent, les gens partent plus tôt dans l’après-midi, prennent quelques heures pour eux, et reviennent travailler plus tard dans la soirée pour finir leurs tâches. C’est quelque chose d’assez courant et accepté ici.

Est-ce que vous avez des rencontres annuelles avec toute l’équipe ? Comment ça se passe dans l’esprit suédois ?

On a beaucoup de rencontres. Les Suédois adorent discuter, donc on a énormément de réunions. On a des rencontres mensuelles avec toute la compagnie où le CEO fait un point sur la progression des ventes, le directeur marketing fait une mise à jour sur la stratégie de branding, et moi, par exemple, je pourrais parler des nouveautés à venir pour la saison. Ces rencontres sont fréquentes. Hier, par exemple, j’étais avec ma chef, qui est responsable du produit et de la marque. On avait ce qu’on appelle un “offsite” dans l’archipel, à environ une demi-heure de Stockholm. On était dans une petite cabane en bois pour discuter de sujets transversaux.

On fait beaucoup ça, partir en équipe à la montagne ou plus loin dans l’archipel, pour sortir du contexte formel du bureau. Ces moments sont essentiels pour trouver de nouvelles inspirations et discuter de sujets non directement liés au quotidien. S’isoler dans la nature, entouré par la forêt ou près d’un lac, c’est très courant ici pour stimuler la créativité. On travaille sur des produits qui sortiront dans deux ou trois ans, donc c’est important de s’asseoir et de discuter.

Est-ce que vous faites entrer des personnes extérieures à l’entreprise pour vous inspirer ?

Oui, ça arrive. Mais souvent, c’est nous qui sortons. Comme je l’ai mentionné, nous voyageons beaucoup. Si on veut accroître notre présence en Europe centrale, il faut qu’on se déplace pour mieux comprendre le marché là-bas : qui sont les compétiteurs, comment les consommateurs achètent, dans quels magasins ils vont. Ça fait partie de notre métier. On se déplace dans les pays qui fabriquent nos produits pour voir comment ça se passe, discuter avec les gens sur place, réfléchir à de nouveaux processus de travail. Ça fait partie de notre travail.

De ton expérience en Suède, qu’est-ce qui t’a le plus inspiré ou marqué positivement ?

Je pense que ce qui m’a le plus inspiré, c’est le positionnement au cœur de la nature. Il y a tellement d’activités à faire en plein air. Être une marque qui permet aux consommateurs de profiter de l’extérieur de manière durable, c’est très inspirant pour moi.

Et personnellement, qu’est-ce qui te rend la plus heureuse dans tes choix actuels ?

Je pense que c’est l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. J’en ai beaucoup parlé, mais c’est vraiment quelque chose d’important. Le matin, je vais au travail en vélo en 20 minutes, les gens sont agréables, les voitures laissent passer. Arriver au travail et travailler sur des produits qui me passionnent, c’est une chance.

Si tu devais donner un conseil à un étudiant qui veut une expérience internationale, que dirais-tu ?

Faut le faire. Il ne faut pas trop réfléchir ou se poser trop de questions. Peu importe ce qui arrive, vous apprendrez quelque chose. Une expérience internationale est une opportunité unique de grandir personnellement et professionnellement. Elle permet de découvrir de nouvelles cultures, de nouvelles façons de travailler, et de se confronter à des défis qui enrichissent votre parcours. Ne vous inquiétez pas trop des détails logistiques ou des incertitudes ; ce qui compte, c’est l’expérience et les leçons que vous en tirerez. Chaque étape, même les difficultés, est formatrice.

Et pour un jeune au secondaire ou au cégep qui se demande quoi faire de sa vie, quel serait ton conseil ?

Tu n’apprends pas tout à l’école. Essaye plein de choses. Mon bac en administration m’a permis de faire des stages et d’apprendre ce que je ne voulais pas faire, ce qui m’a aidé à mieux cibler mes intérêts. Il est important de se donner la possibilité d’explorer différents domaines et de ne pas se limiter à ce que l’on connaît déjà. Les stages et les expériences professionnelles offrent un aperçu précieux du monde du travail et permettent de découvrir ses véritables passions et talents. Ne craignez pas de changer de direction si vous réalisez que ce que vous faites ne vous convient pas.

Tes études t’ont aussi permis de décrocher ton premier emploi ?

Oui, bien sûr. Mes études m’ont apporté plein de choses que j’utilise encore aujourd’hui. Mais le poste en tant que tel, on ne l’apprend pas à l’école. Les compétences acquises à l’université, comme la gestion de projet, l’analyse stratégique, et la communication, sont essentielles, mais il y a aussi beaucoup d’apprentissages sur le terrain. Mon parcours académique m’a donné une base solide et m’a ouvert des portes, mais c’est grâce aux expériences pratiques et à la curiosité de continuer à apprendre que j’ai pu évoluer et réussir dans mon domaine.