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Enjeux

Les Exportants – Épisode 46 – L’enjeu de la pénurie de main d’oeuvre

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Date de diffusion :

5 mars 2024

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Catherine Gervais, directrice générale de Carrefour Québec International, rencontre André Giguère, président directeur général de Canadel, une entreprise familiale qui fabrique des meubles en bois. Canadel est une figure majeure en matière d’innovation dans la région de la Mauricie. L’entreprise, qui compte plus de 600 employés, fabrique plus de 1 200 chaises et 200 tables chaque jour. Dans cet épisode, André nous parle de la pénurie de main-d’œuvre et des stratégies que l’entreprise a mises en place pour conserver son personnel, de la robotisation de l’usine jusqu’à la mise sur pied d’un camp de jour pour les enfants des employés.

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André, tu es PDG chez Canadel depuis cinq ans, j’aimerais que tu nous racontes ton histoire.

Je suis un petit gars de Sainte-Ursule, juste à côté de Louiseville. J’ai grandi, autour de Canadel. J’ai étudié génie industriel, à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Je suis né d’un père entrepreneur, j’ai donc baigné dans tout ce qui est « business ». Mon père a eu plusieurs entreprises dans sa vie et depuis que je suis jeune, j’ai toujours voulu prendre la relève dans chacune d’entre elles, que ce soit en restauration, en épicerie ou en construction. Ça n’a pas fonctionné pour plusieurs raisons. Parmi mes expériences professionnelles, il y a eu Dinec, qui faisait des meubles, Venmar à St-Léonard-d’Aston et puis pour une compagnie qui fait l’implantation de systèmes ERP avec un système qui s’appelle Genius Solutions. Pendant cinq ans, j’ai implanté des systèmes ERP dans environ une dizaine d’entreprises diversifiées par année, de la fabrication à la consultation, du papier au métal. J’ai côtoyé beaucoup d’entrepreneurs qui avaient des idées différentes sur les « KPI » et les approches en gestion entre autres. Donc je suis allé chercher un bon bagage de cette façon. Lorsque j’ai quitté Genius, je suis venu chez Canadel comme directeur adjoint aux opérations en 2008 et puis j’ai gravi les échelons comme directeur des opérations avant d’être nommé directeur général en 2018.

 

Ayant le rêve de devenir entrepreneur, qu’est-ce qui t’a amené à faire des études en ingénierie ?

À l’époque, on disait qu’avec un bac en ingénierie, tu ne te fermes pas de portes. Comme à 22, 23, 25 ans je ne savais toujours pas ce que je voulais vraiment faire dans la vie autre que de faire partie prenante d’une équipe et prendre la relève de mon père, l’ingénierie me donnait cette latitude. On me mentionnait qu’il y aurait un choix à faire entre l’aspect technique et la gestion qui me parlait déjà beaucoup. Même lors de mon CÉGEP, je ne savais pas que j’irais en génie, je m’étais inscrit en sciences pures pour les mêmes raisons, garder mes options ouvertes. J’aurais pu m’inscrire en sciences humaines, mais il m’aurait manqué des cours en maths et physique et j’aurais peut-être perdu une session d’étude. L’ingénierie permet de travailler sur le plancher, spécifiquement pendant les premières années sur le marché du travail, puis de peaufiner ses compétences. Je devais choisir entre la technique ou la gestion. C’était clair, c’était la gestion qui m’intéressait. J’ai toujours été un sportif de nature avec un esprit d’équipe. Présentement, c’est facile quand tu regardes en arrière, mais lorsque tu es dedans, tu n’as aucune idée.

 

Tu es sportif, tu as joué dans des équipes de sport ?

Oui, j’ai joué midget AAA et junior majeur au baseball, avec les Aigles de Trois-Rivières. Puis au hockey, j’ai joué AA toute ma jeunesse et au collégial pendant deux ans au collège La Flèche. C’était assez compétitif, pas de très haut niveau, mais quand même bien. J’ai toujours eu des équipes où il y avait du plaisir et de la chimie ce qui faisait qu’on gagnait. Je ne sais pas si tu es sportive un peu, mais c’est également le cas dans les grandes équipes comme les Spurs de San Antonio ou les Red Wings de Detroit à l’époque. Aujourd’hui, on les appelle des dynasties, car ils ont gagné à répétition. Les gens à l’intérieur de l’équipe s’amusaient, « trippaient » ensemble. Il y avait une chimie en tout temps, durant le travail et à l’extérieur aussi. Ils allaient souper, vivaient et faisaient le party ensemble. Je crois que cette chimie-là est vraiment importante pour gagner. Pas seulement le talent, mais bien la cohésion et l’harmonie dans l’équipe qui amène l’équipe à se démarquer des autres. Évidemment, cela s’applique aussi au marché du travail selon moi.

 

Aujourd’hui tu as le rôle de coach pour tes équipes, puises-tu de l’inspiration de la part de certains coachs dans ton rôle de dirigeant d’entreprise ?

Je ne sais pas, je ne peux pas te nommer un coach qui m’a inspiré honnêtement, mais j’essaie de transposer ce que tu dis dans mon « day to day ». Tout commence avec la confiance pour ensuite monter les échelons de la pyramide afin que l’harmonie et la cohésion soient présentes. Il n’y a pas de recette pour l’excellence, c’est fragile prendre plusieurs individus qui ne se connaissent pas et travaillent ensemble depuis peu pour bâtir cette confiance. Ça ne se fait pas du jour au lendemain. D’un côté il faut taper sur le clou tranquillement pour que la confiance se bâtisse et d’un autre côté que l’entreprise soit la plus transparente possible tout en enlevant le plus de flous possibles. Je n’ai pas la formule exacte, mais chaque individu est différent. Il faut d’abord se connaitre puis connaitre les autres et entrer en relation avec les gens. On a eu des formations, du coaching, notamment la formation des masques, la formation des personas, sur le développement du potentiel humain qui a été suivi par environ 350 employés. La formation nous a amenés à comprendre que l’on a tous des énergies différentes, parfois on peut bousculer l’énergie des autres, on doit donc en prendre conscience et y porter attention, particulièrement lors de projets qui nous amènent à travailler ensemble.

 

Est-ce que la pénurie de main-d’œuvre a un impact sur Canadel ?

Je ne connais pas d’entreprise manufacturière non impactée par la pénurie de main-d’œuvre. Honnêtement, on la vit tous, nous sommes tous dans le même bateau. Ce n’est pas nouveau. Ça a débuté en 2016-2018 je dirais, la pandémie a simplement accéléré le phénomène selon moi.

 

Est-ce que tu t’es retrouvé dans une impasse à u moment donné en te demandant « comment vais-je y arriver ? »

Oui, effectivement, la pandémie a bousculé plein de choses. Elle nous a mis en pleine face des choses qu’on ne voulait pas nécessairement voir. C’est arrivé chez Canadel aussi. Depuis plusieurs années, ce que l’on veut, c’est livrer en 4 à 6 semaines maximum. Lorsqu’on livre en six semaines, on souhaite redescendre à 3-4 semaines, on est en retard et on vit un sentiment d’urgence avec l’impression qu’on délaisse nos clients. C’est notre moyenne annuelle. Durant la pandémie, nous sommes montés à 26 semaines de délai de livraison.

 

Tu devais mal dormir ?

J’ai mal dormi jusqu’à douze semaines, après douze on l’a carrément juste échappé, on voyait bien qu’il n’y avait plus rien à faire. Ça nous prenait douze autobus de personnel pour satisfaire au besoin. On essayait d’engager, mais ça entrait au compte-goutte. Présentement, on a repris le contrôle. Je me rappelle, quand j’ai commencé à travailler chez Canadel, on me mentionnait qu’à l’époque, dans les périodes de forte croissance, en l’espace de deux à trois semaines, ils engageaient 50 à 75 employés. Aujourd’hui, on se félicite et si on engage ce nombre-là dans une année. Ça a vraiment changé. La démographie a également changé plein de choses. La pandémie a pu nous révéler tout ça très rapidement.

 

Quelle est la situation aujourd’hui ? Est-ce que tu manques de personnel ou l’automatisation que vous avez mise en place aide vraiment à trouver des employés ?

Aujourd’hui, on a le bon personnel. L’économie s’est calmée énormément depuis un an et demi et ça nous a aidés. On vend du mobilier de cuisine et de salle à manger de moyen à haut de gamme. Durant la pandémie, plus personne ne voyageait, ils se sont donc lancés sur des biens discrétionnaires. C’est le retour du balancier, même un peu plus. De l’autre côté, les gens vont bientôt se remettre à voyager davantage et les dépenses récentes vont influencer le budget des prochaines années. Le meuble, ce sont des cycles de sept ou huit ans. Donc présentement, nous sommes dans un cycle un peu plus bas, mais on ne l’a pas encore senti en partie à cause des 26 semaines de délai de livraison. Aujourd’hui, ça va bien. Pour le futur, la démographie fait en sorte qu’il y a probablement dix ou quinze employés qui, annuellement, vont prendre une décision entre prendre leur retraite ou la reporter. Si tous les employés de 65 ans prennent leur retraite, c’est dix à quinze retraites annuelles certaines travaillent avec nous depuis 20, 25, 30, 35, 40 ans. On va alors perdre du savoir et de l’expérience. On le voyait venir, mais la pandémie a vraiment allumé la situation davantage et ajouté des néons. On est donc en mode rattrapage. L’automatisation mise en place en 2017 2018, devra être accélérée pour les quatre à cinq prochaines années pour palier à ces départs. On ne peut pas engager 50 à 75 personnes actuellement. Le taux de chômage est à peu près à 5,7 présentement, il n’y a pas beaucoup d’employés potentiels disponibles. Est-ce que ça va changer ? Je n’ai pas de boule de cristal à suivre, mais la démographie du Québec ne laisse pas présumer de changement dans les deux, trois ou quatre prochaines années. Est-ce que l’immigration va aider ? Oui, c’est une des solutions tout comme l’automatisation et la marque employeur avec les bénéfices. L’harmonie, le plaisir au travail et la création d’une équipe avec une synergie en sont une autre. Il faut donc travailler sur plusieurs fronts pour réussir à bâtir quelque chose de solide. On peut comparer cela à une relation de couple. Tu ne peux pas seulement travailler sur une chose en te disant que ton « chum » va être content, il va rester avec toi. Il a plein de choses à travailler sur plein de fronts. Ça fait partie d’un équilibre pour tous les employés.

 

Est-ce que c’est difficile de trouver de la main-d’œuvre qualifiée à Louiseville ?

Le terme « qualifié » n’existe pas beaucoup dans notre jargon parce qu’un, on est en banlieue, mais deux, la majorité des postes qu’on engage, on les forme. Si on regarde au niveau de la production, des écoles de rembourrage de peintres d’ébénisterie, il n’y en a plus beaucoup au Québec. À la base, il n’y en a pas non plus à Louiseville. La majorité des gens qu’on engage, on va les former pendant six mois, huit mois, un an. On a des programmes à l’interne spécifiquement pour ça. On a des personnes avec de l’expérience pour coacher, c’est grâce à cela qu’on réussit à engager. Le plus difficile, c’est engager quelqu’un, le former sans savoir s’il va aimer le travail. C’est comme quand on s’inscrit à l’école. On parlait d’ingénierie tantôt, on a commencé 47 dans ma promotion pour finir à 27 diplômés. Plusieurs se sont inscrits, ils ont payé pour l’éducation, mais ont réalisé que ce n’était pas pour eux puis ils ont changé de branche. Avec le personnel qu’on engage présentement, ils ne savent pas nécessairement s’ils vont aimer ça. Certains proviennent d’un compétiteur et ont déjà fait les mêmes tâches et donc ils ont une idée du travail. On peut rapidement accrocher ces gens-là et restent avec nous pendant longtemps on n’a pas beaucoup de problèmes avec la rétention de personnel. Quand les gens sont bien et qu’ils aiment ce qu’ils font, ils restent longtemps.

 

Quel est le pourcentage des employés d’usine et de bureau ?

En usine, on est entre 450 et 500 employés. Dans les bureaux, c’est une centaine d’employés.

 

Considérant la grosseur de l’équipe, quand vient le temps des embauches, est-ce que les programmes sont en continu ou ont des dates spécifiques, un peu comme une inscription à l’école ?

On a des postes sans date d’entrée, ce n’est pas un programme, c’est de la formation sur mesure. On n’a pas une salle de cours, c’est dans l’usine avec le formateur du département. Mais oui, tous les mois, toutes les semaines, on reçoit ce qu’on appelle des candidatures spontanées. Lorsque la personne est qualifiée, par exemple un peintre qui a déjà travaillé dans le meuble cherche un emploi. Ça arrive de temps en temps qu’on engage de cette façon-là. En considérant qu’il peut remplacer un futur retraité. On embarque dans le parrainage, une formation avec des plus expérimentés qui vont coacher des juniors.

 

Comment ça fonctionnait avant la pénurie ?

Il y a 20 ans, lorsqu’on cherchait un peintre, on en avait 18 à passer en entrevues pour en choisir un. Aujourd’hui, on recherche un peintre et on va recevoir trois personnes qui seraient intéressées à l’apprendre ou qui ont déjà peinturé un petit peu à la canette. J’exagère, mais c’est vraiment ça, c’est difficile. Même au niveau de l’immigration, souvent, ce que les gens ont fait dans leur pays ne ressemble pas beaucoup à la réalité dans nos usines. Il y a toujours une période d’adaptation et une période de formation sur les méthodes, les processus, les procédures.

 

Est-ce que vous faites des campagnes de recrutement dans les grands centres pour essayer de faire déménager les gens ? Est-ce qu’il y a eu une petite séduction qui se fait ?

On ne peut pas dire qu’on fait une petite séduction ni qu’on cible les grands centres nécessairement. Une des problématiques qu’on a à Louiseville, c’est vraiment la pénurie de logements. Je parle de Louiseville, mais c’est partout pareil. C’est arrivé dans la dernière année, j’ai quatre ou cinq personnes en tête qui voulaient déménager, mais qui n’ont jamais trouvé un logement. Ils avaient accepté l’offre d’emploi, ils voulaient venir, mais il fallait qu’ils se logent quelque part. Tu ne peux pas faire une heure et demie de route le matin et le soir, tu peux, mais c’est rare. L’aspect du logement, c’est un frein sur lequel il faut vraiment se pencher. Que ce soit pour l’immigration ou des personnes qui partiraient des grands centres pour venir s’installer à Louiseville. Probablement que d’ici quelques années, ça va se résorber. Aujourd’hui, c’est une des raisons pour lesquelles on a de la difficulté à recruter.

 

Vous avez mis en place des initiatives vraiment super chez Canadel. Une garderie, un médecin une fois par semaine, c’est franchement super. J’aimerais savoir l’impact que ça a eu sur ton personnel.

On a un médecin une fois par semaine, le médecin est vraiment là pour les employés. Par exemple, un employé qui se blesse sur la ligne de production, on doit l’envoyer à l’urgence pendant 18 h. Ce n’est pas le fun, non ? Alors là, s’il n’est pas blessé très sévèrement et est capable d’attendre la journée que le médecin se présente, il y a une consultation ainsi qu’un diagnostic parfois. Il pourra donc embarquer dans la machine plus rapidement pour donner suite au premier « screening ». L’autre chose, c’est que de temps en temps, un employé doit s’absenter pour aller consulter un médecin. Peu importe la raison, il peut juste prendre quinze minutes, revenir et retourner. Il a perdu une demi-heure de sa paye dans sa journée au lieu de perdre quatre à cinq heures d’ouvrage. C’est très apprécié par les employés justement pour éviter une perte de salaire. Pour nous, c’est une perte de productivité aussi parce que quand il manque un employé sur la ligne de production, on ralentit, c’est donc une formule gagnant-gagnant. Par le passé, il y a déjà eu deux médecins, avant même que j’arrive chez Canadel. Ça fait longtemps qu’il y a un médecin et ça fait partie de la vision à long terme des propriétaires. On veut perpétuer cette vision pour le futur. Pour la garderie, on ne l’a pas encore, c’est actuellement un partenariat avec la garderie Gribouilli qui est ici à Louiseville. Ils vont construire une nouvelle garderie en 2024. On est partenaire financier et on propose des ajouts qu’on souhaite avoir. Par exemple, ils ont un budget pour la cour extérieure, pour les modules de jeux, mais il y a moyen de les « pimper » un peu. En agrandissant la cour, avoir de plus gros modules de jeux, des places réservées pour les employés de Canadel. Ça se fait dans une vision de rétention du personnel. Par exemple, certains employés ont dû prolonger leur congé de maternité ou de paternité jusqu’à un an et demi parce qu’il n’y avait pas de garderie. On résout un problème pour des familles qui cherchent une garderie, c’est un casse-tête qui amène une perte de revenus pour elles et une perte d’efficacité pour nous. Alors c’est dans cette optique-là qu’on a qu’on a fait le partenariat avec Gribouilli.

 

Avez-vous une équipe en place dans l’entreprise pour réfléchir à des solutions pour contrer la pénurie ? Comment ça fonctionne ? Est-ce que vous avez une stratégie ?

La stratégie est la bienveillance, qui est une de nos quatre valeurs. Il y a une équipe au département des ressources humaines et du marketing, ce qu’on appelle la marque employeur qui réfléchit à comment être bien dans l’entreprise tout en tentant d’attirer de nouveaux employés. Cette équipe-là génère donc des idées, et prend des suggestions des employés. Par exemple, on a organisé un camp de jour pour une semaine incluant une cinquantaine de jeunes cet été. C’est une idée d’une des employés de l’usine de chaise qui, il y a deux ou trois ans, avait levé la main lors d’une réunion trimestrielle. Cette idée-là a mûri puis a accouché d’une semaine de camp de jours pour régler une problématique entourant la période estivale lorsque les camps de jour ne sont pas disponibles. Les idées proviennent donc de l’équipe à l’interne et parfois ça provient aussi des employés.

 

Aujourd’hui, est-ce que la semaine sans camp de jours a un plus grand impact sur la productivité qu’en 2008 ?

Je ne suis pas capable de te la chiffrer, on ne l’a jamais mesuré. Il y a eu un impact, mais tu l’as dit de façon claire, nette, et je suis d’accord avec toi, il y a sans doute un impact. Par exemple, des employés restaient à la maison parce qu’il y a des couples qui travaillent dans des usines différentes ou quelquefois dans la même usine. Ces gens-là, papa et maman ont trois enfants n’ont pas accès au camp de jour. Certains n’ont pas grand-papa et grand-maman, donc une journée sur deux, maman ou papa reste à la maison. Un employé est manquant sur la ligne et donc s’il y en a dix ou quinze, c’est sûr que ça a un impact. Tout le monde est important dans les usines et ça vient perturber la productivité, ainsi que leur budget personnel. On peut le voir aussi aujourd’hui avec le télétravail. On ne veut pas nécessairement que les gens restent à la maison avec des enfants en télétravail. En revanche, quand toi ou ton enfant êtes malades, on a quand même une prestation de travail. Est-ce qu’elle est à 100 % avec des enfants à la maison ? Non, mais on n’est pas à 0 % non plus. Mais on peut quand même avancer certaines choses. Alors c’est gagnant — gagnant, autant pour l’employé que pour l’employeur selon moi.

 

Est-ce qu’il y a des choses marquantes qui t’ont amené à vous démarquer pour retenir le personnel que tu aimerais souligner ? Est-ce que tu as des leçons à tirer de tout ça ?

Je ne peux pas dire que j’ai des leçons. Je pense qu’il faut être à l’écoute, comprendre le besoin et puis il faut s’adapter. Tout simplement parce que la recette du début des années 2000, elle ne peut pas marcher en 2024. Alors il faut vraiment voir que les besoins ont changé. La vie a changé et il faut savoir s’adapter. Quand j’ai débuté chez Canadel, au début des années 2010, personne n’aurait cru que 70 % des gens feraient du télétravail au Québec. Tout d’abord, on n’était pas outillés pour le faire. Deuxièmement, on n’avait pas cette mentalité-là de dire que l’employé peut donner une prestation de travail équivalente à la maison. J’étais un des premiers contre cela et qui n’y croyait pas. Même aujourd’hui, je n’y crois pas pour cinq jours par semaine. Cependant deux à trois jours au bureau, je pense que c’est un bel équilibre, autant pour la santé mentale, pour le bien-être de la famille et pour l’employeur. Il n’y a pas vraiment de recette, c’est vraiment de regarder ce qui se passe devant nous, où est le besoin, puis qu’est-ce qu’on peut faire pour s’adapter.

 

Comment vois-tu ça dans dix ans ? Quinze ans ? Où est-ce qu’on s’en va ?

J’aimerais tellement ça savoir, toi aussi hein ? Sérieusement, la boule de cristal est « frostée ». Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui pourrait prédire l’avenir. Il y en a sûrement un, mais pour moi, qui peut réellement prédire où l’on sera dans dix ans ? Tout évolue tellement rapidement. Lorsqu’on recule, il y a dix ans, on ne pensait pas être dans cette situation aujourd’hui. Aussi, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et les technologies qui sont exponentielles, qui explosent… Je pense que ça va être de comprendre où on est rendus qu’est ce qui se passe devant nous et être capable de s’adapter rapidement. Être surpris le moins longtemps possible, puis de passer à l’action. Donc la flexibilité et l’agilité au niveau de l’adaptation. Puisque le monde évolue à une vitesse exponentielle, on devra s’ajuster à une vitesse exponentielle. Aujourd’hui, une personne qui ne croit pas en l’automatisation et l’intelligence artificielle devra y croire rapidement parce qu’il risque d’être dans le trouble dans cinq ou dix ans. Je ne sais pas encore quoi faire ni comment, mais il faut se tenir proche et être prêt à embarquer avec une flexibilité dans tout ça. En regardant la démographie du Québec et du Canada, on voit qu’on n’a pas le choix, on s’en va là.

 

C’est automatisé chez Canadel comment vois-tu ça ? Tu dois tripper à penser à automatiser l’usine plus encore.

Oui, c’est trippant, mais on est une industrie personnalisée, tous nos meubles sont personnalisés. Il y a beaucoup de tâches manuelles. Par exemple, j’ai une trentaine de couturières. Des robots pour coudre existent, mais on a 270 tissus différents avec du cuir, de la cuirette, des tissus plus ou moins élastique, malléable, etc. Le robot n’a pas la sensibilité de détecter tout ça, on n’a donc pas de robots pour remplacer des couturiers et des couturières présentement. La technologie n’est pas là. Va-t-on y arriver ? Un autre petit exemple est le nombre de couleurs des morceaux de bois qui varient et qu’il faut sabler n’est pas visible pour le robot. Je pense qu’il va toujours y avoir des gens manuels qui ont ce savoir-là, mais qui vont être aidés par un robot. Que ce soient des robots collaboratifs ou à valeur ajoutée comme les transports. C’est ce qu’on a commencé à faire en 2014-2016, par exemple, à notre usine de chaise où nous avons un haut volume, 1200 chaises produites par jour. Jadis, c’était 1200 humains qui les promenaient dans l’usine pour les faire passer d’un département à un autre. Aujourd’hui, ce sont des véhicules auto guidés qui détectent avec la RFID la sorte de chaise et le bon département. C’est donc une dizaine d’employés qu’on a pu utiliser en valeur ajoutée sur notre produit. Donc les robots, que ce soit pour les assises de siège, les rouleaux de tissu ou encore le déplacement en usine sont utilisés dans l’optique de garder nos artisans, nos ébénistes pour pouvoir mettre de la valeur sur les produits. Aujourd’hui, on ne peut pas les remplacer par des machines, à moins que l’on change notre modèle d’affaires pour passer de 275 tissus à trois ou quatre tissus avec la même élasticité. Dans ce cas, on perd la saveur et l’ADN de Canadel qui est la personnalisation. On est dans un entre-deux, jusqu’où peut-on automatiser et augmenter l’efficacité sans perdre l’ADN ? C’est vraiment là où l’on en est. Où est le défi ? Lorsque tu automatises, tu as tout de même besoin d’un humain qui va gérer, programmer et faire la maintenance sur le robot. Il y a des métiers qui changent avec la venue de l’automatisation, comme notre parc informatique, les compétences à l’interne en programmation puis en réseau TIC. Ce n’est pas ce qu’on avait voilà dix ans. Nous avons engagé des gens plus compétents et ceux qui étaient là ont dû prendre des formations pour améliorer leur niveau de connaissances.

 

J’ai l’impression que les postes deviennent de plus en plus intéressants.

C’est différent. Disons ça, différent.

 

Merci, André, ça fait plaisir. Espérons qu’il va y avoir plus de logements pour accueillir du personnel dans la belle municipalité de Louiseville.

C’est une question d’un an ou deux pour que ce problème-là soit résolu. Ça fait déjà trois, quatre ans qu’ils sont en train de travailler sur la problématique des eaux usées. Lorsque ce sera réglé, les logements vont pouvoir pousser. C’est vraiment ce que l’on attend. On parle régulièrement avec la MRC, puis avec Monsieur le Maire à la ville. Tout le monde travaille pour le mieux. Mais il y a des délais avec l’environnement puis des choses à respecter. Il faut être patient.